Lundi 23 août 2010 à 23:32
Je me réveillai en sentant ce rien qui entoure la fin du sommeil et le début de l’éveil. Peu à peu, je fus à nouveau consciente de mes muscles, de mon état, de mon corps. J’éventrai soigneusement la torpeur qui tentait de m’englober en son sein et entreprit le difficile effort d’ouvrir mes paupières. La lumière frappa mes pupilles qui se rétractèrent sous le choc, m’arrachant du même coup un grognement sonore. Mon bras se leva instinctivement avant de s’abattre sur l’autre moitié du lit, celle où était étendu un oreiller encore aplati par mes coups. Il n’était pas revenu finalement. Je griffai les draps, arrachant la housse du matelas et m’enroulant dedans. Je glissai du lit et tombai dans un bruit mat du corps qui s’affale sur du tissu puis sur le sol. Je ne sais pas combien de temps je restais là. Je ne m’endormais pas, restant dans un état second, conscient et insoumis à la réalité.
Un bruit vibra dans mon oreille, la pluie au dehors qui battait sur le pavé, sur le balcon et sur mon esprit endolori. Pas question de bouger ! Je remuai violemment, tentant de m’extirper de mon cocon, grognant, geignant et finalement hurlant. Je n’ai jamais su d’où venait ce cri, mais il me surprit moi-même. Une sorte de bestialité et une douleur en émanaient comme des grandes lettres écrites au-dessus de moi, comme un néon lumineux clignotant dans une nuit noire, comme le sifflet d’un train dans le matin d’hiver après la tombée de la neige. Mes pleurs se joignirent au concert et je vibrai et je tremblai de tout ce que j’avais accumulé, je frappai le cocon de tissu dont je n’arrivai pas à sortir, je me tordis en vain. J’écoutai la pluie, douce dans sa chute, dure dans sa rencontre avec le sol. Au milieu de la pluie, il y avait cette gouttière, celle qui contient des feuilles mortes accumulées, voire un cadavre de piaf, celle qui à ce moment précis jouait pour moi une tendre symphonie. Je l’écoutais longtemps, la nuit tomba, je m’endormis, je me réveillai, je me rendormis.
Je me réveillai en sentant ce rien qui entoure la fin du sommeil et le début de l’éveil. Peu à peu, je fus à nouveau consciente de mes muscles, de mon état, de mon corps. La pluie avait continué, j’écoutai sa mélodie, cherchant les notes de la gouttière. A nouveau je tentai de m’extirper de ma prison de tissu, cette fois-ci en gardant mon calme. Je senti que quelque chose avait changé en moi durant cette nuit. Il y avait quelque chose dans la tristesse qui m’emplissait, comme une mélodie de gouttière. Etrangement elle me donnait de la joie, une sorte d’espérance insensée. Je me rappelai ce choix qu’on a de continuer à vivre, de garder en soi les souvenirs heureux ou tristes, de ressentir et de chercher quelque chose. Mes pensées vagabondèrent vers les coins de ma mémoire, les projets souvent reportés, les folies que je n’avais pas encore faites. Je serai triste c’est sûr mais ce sera mieux que ce vide qui m’étreignit cette nuit-là.
Les tissus s’écartèrent, révélant mon corps ankylosé. Je me levai d’un coup, basculai, me rattrapai, courus le long du couloir, amenant des paroles aux bords de mes lèvres avant de les ravaler sans un bruit. Je me précipitai aux toilettes et m’assis sur le trône. Alors je ris, et je ris fort, de ce rire de soulagement qui suit les tourments. Il avait fallu, pour me sortir de ma torpeur sans vie, une mélodie des gouttières qui me donna envie de pipi.
Mardi 10 août 2010 à 23:07
De nombreuses légendes racontent comment la nuit et le jour se sont formés, le combat entre les ténèbres et la lumière. Celle que je vais maintenant vous conter se passe dans un univers parallèle au notre. Cela se produisit il n'y a pas si longtemps pour nous mais il y a des millions d'années pour les habitants de cet autre monde et pour un en particulier. Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi le ciel était ainsi ? Pourquoi il déclinait avec tant d'ardeur toutes les teintes, toutes les émotions ? Peut-être pourrais-je aujourd'hui offrir des fragments de réponses à ces questions.
Kahine était une magicienne aux pouvoirs à la fois puissants et restreints. Le monde dans lequel elle vivait heureuse avec sa famille, ne connaissait pas la nuit et un ciel clair était présent à toute heure. Cependant le jour de la mort de son mari, alors que leur fils venait de fêter ses 14 ans, elle décida de s'allier à des forces ténébreuses pour le ramener à la vie. Mais un tel souhait n'est réalisable dans aucun monde et bien qu'aucunes conséquences ne soient apparues au moment même de sa formulation, un tel acte est forcément puni. Kahine était anéantie par la profonde tristesse qu'elle ressentait, rien ne l'apaisait. Les jours passèrent, puis les mois et les années sans que cette torpeur, dans laquelle elle s'était elle-même plongée, ne cesse. Allongée, sans bouger, sans manger et pourtant sans mourir. Le ciel lui-même avait arrêté de se mouvoir en cette vague de couleurs et de vents qui l'animaient toujours.
Ce ne fut que quelques siècles plus tard qu'elle s'éveilla enfin. Son fils était à ses côtés comme figé. Elle sortit de sa maison et dans la plaine qui l'entourait, tout était arrêté : une taupe qui replongeait dans sa galerie, les papillons et les insectes, tous immobiles. Lorsque ses yeux plongèrent enfin dans le silence du ciel, elle comprit que son pouvoir avait causé tout cela. Depuis qu'elle était enfant, sa mère lui avait enseigné les rudiments de la magie et des arts puis à ses 15 ans, il fut temps de lui transmettre le pouvoir des femmes de la famille, celui de contrôler le ciel. Tout d'abord l'apprentissage consista à en changer la couleur puis à former des nuages et enfin à contrôler le vent. La réunion de ces trois éléments essentiels permettait alors de créer une infinité de ciels : mouvants ou calmes, bleus ou gris, nuageux ou purs ; afin de créer une œuvre d'art quotidienne… mais rien n'était possible sans volonté. Le ciel était maintenant immobile, sombre, sans avenir car elle-même l'était. Il fallait tourner la page, être capable d'aller au-delà de la souffrance. C'est ainsi que Kahine s'avança bras tendus vers celui qu'elle avait délaissé et que par les incantations qui s'envolaient de ses lèvres, par les cris qui s'enfuyaient de son cœur, le ciel se mit à luire et une œuvre naquit.
Elle avait arrêté le temps, défié les lois, souillé son univers, et le cours normal des choses ayant repris, le châtiment était sans appel. Son fils sortit à son tour de la maison pour la rejoindre en riant mais alors que leurs mains allaient se retrouver, tout devint flou. Lorsque Kahine s'éveilla, tous ses sens étaient en alerte car il n'y avait rien sous son corps et pourtant il reposait sur quelque chose. Lentement elle se leva et marcha dans le vide. Loin en bas s'étalaient des prairies, des vallées et autres reliefs devenus minuscules par la hauteur depuis laquelle elle les observait. Immédiatement elle se mit à chercher son fils et bientôt sa voix lui répondit. Soulagée elle se précipita pour le prendre dans ses bras et le contact de leurs corps, contrairement à celui avec le sol, était tangible. Cependant elle put très vite se rendre compte que quelque chose n'allait pas. Devant eux s'étendait une étendue sombre d'un noir d'encre et un instant plus tard apparut une femme. En tout point elle était semblable à Kahine si ce n'est que sa peau était noir d'ébène et ses cheveux blancs tranchaient joliment avec sa couleur, ses yeux étaient d'un jaune opaque et une robe d'un bleu très sombre revêtait son corps et s'étendait dans le ciel.
- Qui es-tu ? demanda Kahine, protégeant son fils derrière elle.
- Je suis ta souffrance, répondit la créature.
- Ma… souffrance ?
- Oui. Je suis le fruit de ces années à rejeter la tristesse, je suis le prix que les mondes payent à cause de tes actes.
- Les mondes payent pour moi ?
- C'est ainsi lorsque l'on tente de changer ce qui est établi, on envoie une vibration dans l'univers qui change non seulement notre propre dimension mais également celles les plus proches. Une faille est ouverte entre ces mondes désormais.
- Non ! Comment puis-je réparer cela ?
- Tu ne le peux… Appelles-moi Nuit.
Sur ces mots l'étrange femme disparut dans sa partie du ciel. Les champs s'obscurcirent, les ombres s'allongèrent et finalement tout fut noir, d'un noir sans aucune source de lumière. Kahine se mit alors à pleurer des larmes amères qui tombèrent sur le sol en une pluie acide. Les arbres furent rongés, les animaux fuirent et de nouveau la magicienne fut source de malheur pour ce monde. Cela lui permit en tout cas de ne pas se laisser aller à des sanglots et des plaintes qui auraient pu durer une éternité car elle n'avait peut-être pas réussi à ressusciter les morts mais elle avait gagné, ainsi que son fils, l'immortalité qui rendrait impossible la fin de sa souffrance. Tel était le prix à payer pour défier les lois établies de la nature.
Kahine décida qu'il fallait agir vite et avant tout qu'il fallait connaître avec exactitude les conséquences de ses actes avant de prendre une quelconque décision. Elle prit donc son fils, qui s'appelait Jour, par la main et l'emmena à travers la plus proche des dimensions car son pouvoir lui permettait de détecter les failles, résultats de son souhait insensé. Elle arriva dans un monde très peu évolué où aucune terre n'était visible, il n'y avait que de l'eau, où que l'on pose le regard. Les seuls organismes vivants étaient monocellulaires aussi Kahine crut tout d'abord qu'ils ne seraient pas affectés. Cependant Nuit était froide et chagrine, elle n'apportait pas de chaleur et les pauvres créatures commençaient à mourir. La magicienne partit ensuite pour un monde très évolué, où des fourmis volantes d'un mètre de hauteur avaient établi des cités souterraines extraordinaires utilisant la géothermie comme principale source d'énergie. Il semblait que leur temporalité était différente puisque de nombreux systèmes ingénieux avaient été mis au point contre le froid et que leur colonie prospérait. Enfin le dernier monde était peuplé de singes légèrement évolués qui communiquaient par hurlement et semblaient terrifiés par Nuit. Après ce voyage mentalement épuisant, Kahine et Jour se mirent à réfléchir à un moyen de remettre les choses plus ou moins à la normale. Il était pour le moins sûr que Nuit était indestructible car la souffrance de Kahine ne s'apaiserait jamais assez pour la faire disparaître et son pêché devait être payé éternellement. Cependant ils songèrent qu'il était peut-être possible de rendre Nuit moins triste ou de la pousser à aimer l'art des ciels afin de ne pas avoir une unique voûte céleste. Alors qu'ils réfléchissaient ainsi, Nuit réapparut et lentement tira sa robe vers elle. Kahine se rendit alors compte que leurs deux robes étaient cousues l'une à l'autre, plus Nuit tirait et plus le bleu sombre qui composait sa tenue désertait le ciel, alors que le bleu clair de celle de sa jumelle prenait place. Ne pensant plus à autre chose, la magicienne anima son œuvre, la teintant de mille et une couleurs, revêtant à nouveau son costume d'artiste pour ravir l'œil. Nuit regardait curieuse cet étrange ballet de teintes en mouvement.
- Comment fais-tu cela ? demanda la femme ébène.
- Il suffit de penser aux choses de la vie, de les laisser t'imprégner et de les relâcher ensuite dans l'infini.
- Est-ce que je peux le faire ? Moi qui suis si semblable à toi.
- Je ne le sais pas, mais tu pourras essayer plus tard.
- Quand cela ?
- Je ne sais pas.
Ainsi se passa la journée alors que Kahine créait et Nuit regardait. Jour pendant ce temps jouait sur les nuages, dansait et chantait avec le vent, heureux de trouver un terrain de jeu dans cet isolement. Il pouvait également aller se reposer sur la terre mais sa mère ne voulait pas, elle trouvait cela trop dangereux. Après un long moment, dans un mouvement fluide, la robe de Kahine se replia juste qu'à n'atteindre plus que ses pieds alors que celle de Nuit étendait son voile sur le monde. La magicienne donna alors des cours à sa jumelle, lui apprenant l'art de créer les ciels, espérant secrètement que cela sauverait les mondes. Le temps passait et Kahine enseignait. Le temps passait et Jour s'ennuyait. Le temps passait et Nuit était là.
- Quand vais-je pouvoir dessiner des ciels ?, demanda enfin la jeune femme.
- Je ne sais pas, répondit la voix triste de Nuit.
Kahine essaya de tirer sur sa robe pour la faire descendre mais cela servit uniquement à faire entrer la suspicion dans l'esprit de Nuit.
- Tu veux voler mon temps, l'accusa-t-elle.
- Non ! Je… je suis désolée, je ne voulais pas.
Mais Nuit n'allait pas en rester là. Déclenchant une pluie de météorites, elle menaça Kahine : l'injuriant, essayant de l'atteindre aussi bien avec ses propos qu'avec ses poings. La magicienne, quant à elle, ne ressentait rien de négatif. Tous les sentiments qui étaient mêlés à sa douleur d'antan avaient disparu. Il lui restait seulement l'amour filial, la fatigue, l'ennui et quelques autres. Cependant Jour, quant à lui, était blessé par les paroles et les tentatives d'attaques de Nuit, il s'interposa donc entre les deux femmes, sans réfléchir au danger que cela représentait. A ce même instant, la créature à peau d'ébène fit s'agrandir les ongles de ses doigts et tenta de griffer le visage de sa rivale. Des gouttes de sang coulèrent devant les yeux écarquillés de la magicienne car une balafre traversait le visage de son enfant. Le rouge coula lentement le long de la robe bleu clair qui était si lisse qu'il ne s'accrochait pas et glissait sans fin. Cependant, arrivé à la couture entre les deux tenues il s'arrêta, et les deux tissus, d'un côté comme de l'autre de cette frontière, furent teintés d'un rouge qui formait des volutes mouvementés. Kahine hurla de concert avec Nuit car la magicienne ressentait la douleur d'une blessure à un être cher et la créature la lourdeur des responsabilités. En effet, malgré le fait qu'elle ait récupéré les souffrances de Kahine, elle n'avait pas participé à la création de ces traumatismes jusque là. La robe bleu clair s'étira et Nuit partit se réfugier dans le brouillard noir qui l'entourait.
La nuit suivante, les deux femmes se retrouvèrent face à face de nouveau et refusant de poursuivre l'apprentissage de celle qui avait fait saigner son fils, Kahine emmena Jour dans un des univers proches pour voir s'il y avait eu du changement. Pendant ce temps, Nuit apprenait ce qu'était le remord. Elle était peut-être froide et noire, empreinte de souffrances, inconnue du bonheur, mais elle avait en elle la recherche d'un espoir, d'un jour meilleur. L'obscurité et la lumière continuèrent à se dérouler alors que personne ne semblait vouloir sortir de cette routine qui pourtant ne faisait qu'empêcher une fois encore le temps de s'écouler. Une nuit cependant, alors que la femme ébène était assise, regardant sa robe, elle décida de réessayer de mettre en pratique les cours de Kahine. Bientôt de fins nuages blancs passèrent dans le noir de la robe mais ils ne produisaient aucune lueur, aussi seuls Nuit et Jour pouvaient les voir. Oui car Jour, entendant les incantations murmurées par la femme s'était éveillé et observait l'étrange ballet qui se passait sous ses yeux.
- Cela ne sert à rien, dit-il en se redressant.
Nuit eut un sursaut et scruta le visage de son interlocuteur.
- Pourquoi ? demanda-t-elle de sa voix faible et rude.
- A quoi sert de créer le plus magnifique des ciels si personne n'est là pour en profiter ?
- Mais… il n'y a personne de toute manière ici.
- Si ce n'est que ça, répondit Jour.
Dans un mouvement fantomatique, il traversa alors la robe de Nuit et alla se poser sur la terre ferme. Puis il se tourna vers le ciel et cria.
- Je ne vois rien d'ici, montre-moi quelque chose de beau !
- Je ne sais pas faire, répondit un vent glacial dans son oreille.
- Il suffit que tu laisses entrer un peu de lumière !
- Je… Je n'ai pas de lumière, je ne suis faite que pour la souffrance et la souffrance est froide et noire.
- Je te pardonne Nuit !, cria Jour de toutes ses forces, suivant de son doigt le tracé de la cicatrice.
La créature fut tellement étonnée qu'elle en resta coite. Très vite pourtant une douce chaleur l'envahit et elle ressentit une grande joie. Bien petite au milieu de toutes ces douleurs qui l'accaparaient mais bien présente.
- Bravo Nuit !, s'exclama Jour, car sur la voûte céleste s'était allumée une étoile, belle et blanche, brillant suffisamment pour apercevoir la silhouette des nuages flottant au devant.
Un faible rire s'échappa du vent qui était tiédi par le bonheur de la femme. Le jeune homme remonta alors et s'installa près de sa mère comme s'il n'avait jamais quitté ses côtés.
- C'est un secret, dit-il. Et il ferma les yeux.
La journée suivante se passa comme d'habitude. Aucune des femmes ne parlait, Kahine créait un ciel tandis que Jour s'amusait sur la terre avec les oiseaux et les animaux après avoir convaincu sa mère de le laisser y aller sous sa surveillance. Nuit, quant à elle, se remémorait la soirée qu'elle avait passée, dissimulée dans un coin de brouillard noir. Cependant quand le soir vint et qu'elle prit le relais, Kahine ne put que remarquer l'étoile qui brillait sur la robe de Nuit.
- Qu'est-ce que cela ? demanda-t-elle étonnée.
- C'est une étoile, répondit Nuit.
- Comment est-elle arrivée là ?
Nuit réfléchissait rapidement à une réponse à donner quand Jour intervint et expliqua à sa mère ce qu'il s'était passé. Il ne voulait pas obliger sa nouvelle amie à mentir. Kahine parut d'abord fâchée mais elle s'apaisa vite.
- Alors il y a de l'espoir pour Nuit, dit-elle.
Ces mots en retentissant dans l'esprit de la créature formèrent sur sa robe une étoile encore plus belle et brillante que la première, une de celles qui ne perdent jamais le nord tant la raison est empreinte dans leur existence. Kahine et Nuit se sourirent et depuis ce jour, travaillèrent ensemble pour combattre les peines par des joies et après plusieurs siècles, des milliers d'étoiles brillaient sur le tissu, renfermant l'amitié, les plaisirs…
Cependant et malgré toutes ces nouvelles expériences qui brillaient, lorsque le jour venait à finir, la nuit restait très sombre. Malgré cela, Jour prenait plaisir à jouer sur terre quand le ciel s'assombrissait, il pouvait alors observer les créatures nocturnes, apercevoir les lucioles et sentir la fraicheur sur son visage. Cela, Nuit, des hauteurs, ne pouvait le voir. Alors quand Jour rentra un soir, elle se décida à lui demander.
- Pourquoi aimes-tu aller sur terre quand je change le ciel ?
- Car il y a plein de choses à voir, d'animaux et de phénomènes différents de ceux que je vois durant la journée.
- Tout cela ? Mais comment fais-tu pour les voir alors qu'il fait si sombre ?
- C'est dur parfois mais certains créent leur propre lumière.
- J'aimerais bien voir tout cela, dit Nuit un peu attristée.
- Peut-être n'ouvres-tu pas assez tes yeux… supposa Jour.
- Mmmmh je ne sais pas mais j'ai une idée.
Nuit se coupa alors les cheveux, un doigt et un bout de sa manche et avec forma une petite poupée. Elle prit un de ses yeux et le divisa en deux puis plaça les deux parties sur le visage. Enfin elle lui insuffla de la magie et un cœur en l'embrassant avant de demander à Jour de la poser sur la terre ferme. A peine ses pieds touchaient-ils le sol qu'elle prenait vie et s'animait. Et de ses yeux nouveaux qui dévoraient l'immensité, Nuit pouvait voir le monde. La lumière était malgré tout faible et la femme était déçue de ne pas voir mieux. Cependant quand elle se tourna vers Jour elle ressentit quelque chose à travers le cœur de la fillette. En l'embrassant elle lui avait insufflé le pouvoir d'aimer et c'était Jour qui l'occupait maintenant. Nuit sut alors enfin ce qu'était l'amour et en l'apprenant son œil se mit à briller d'une forte lumière qui plongea les deux enfants dans la contemplation du ciel désormais visible. La lune venait de prendre sa place.
Le temps passa, Jour et la « fille » de Nuit passaient beaucoup de temps ensemble sur la terre. Il lui montrait les animaux et les plantes, les rivières et les forêts. Et il remarqua vite que certains animaux nocturnes ne sortaient plus. Alors ce soir-là quand il retourna près de sa mère, il décida d'en parler à Nuit.
- Je crois que la lumière de ton œil est trop forte, dit-il.
- Ah ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Certains animaux ne viennent plus la nuit et je ne vois plus les lucioles.
- Dans d'autres mondes j'ai pu aussi observer ce phénomène, remarqua Kahine.
- Mais comment faire ? Ce n'est pas comme si je pouvais contrôler ce pouvoir de l'amour.
Plusieurs jours passèrent alors qu'ils réfléchissaient à un moyen d'atténuer cette lumière. Finalement Kahine eut une idée. "Nous pourrions utiliser un tissu pour que toute la lumière ne passe pas", dit-elle. Et ainsi fut fait. Nuit plaçait un bout de sa manche devant son œil et cela suffisait à filtrer la lumière pour en réduire l'impact. De temps en temps, c'était une partie de tissu tâché du sang de jour qu'elle plaçait ainsi, donnant naissance à une lune rousse. Et quand elle souhaitait éclairer une partie précise de la terre, elle cachait une partie de son œil avec son doigt. Pendant ce temps, Jour et la fille de Nuit vivaient en paix sur terre alors qu'elle n'était peuplée que de peu de créatures évoluées. Parfois ils allaient ensemble visiter d'autres mondes comme celui des singes qui était de loin le plus amusant.
Mais un triste jour… Kahine se remit tout d'un coup à vieillir. En apportant des joies et de l'amour dans ses anciennes blessures, elle avait rompu l'enchantement qui la gardait en vie et celui de Jour et de Nuit également. Ainsi en quelques mois, elle atteint un âge avancé et Jour eu 15 ans. Il commença alors son apprentissage et fut rapidement aussi apte que sa mère à créer des ciels lumineux, colorés et mouvants. Kahine mourut alors, libérée du poids des responsabilités et des souffrances. Jour revêtit sa robe de magicienne qui s'adapta tout de suite à son physique et reprit son rôle. Le temps reprit son cours normal et Nuit et lui se remirent à vieillir doucement. Malheureusement Jour n'était plus immortel et la fille de Nuit qu'il chérissait ne pouvait le rejoindre dans le monde céleste car lors de sa création, elle n'avait pas pris vie là-bas mais bel et bien sur terre et aucun pouvoir supérieur ne l'avait autorisée à entrer dans ce lieu. Aurore, tel était son nom, ne pouvait le voir que dans le temps de transition entre Nuit et Jour quand la couture rougit du sang de Jour teintait le ciel de sa lueur orangée. Le reste de la journée et de la nuit, elle le passait à regarder la voûte céleste, pensant à celui qu'elle aimait. Quand il eut 16 ans, Jour songea qu'il était temps de poser certaines questions sur son avenir.
- Je m'interroge, dit-il à Nuit.
- A quel sujet ? demanda-t-elle.
- Comment ferais-je pour avoir un héritier ou une héritière qui prendra ma suite dans ce rôle comme il en est coutume ?
- Il n'y aura pas d'héritier.
- Comment cela ?
- Tu es le dernier, Jour. Tu es celui qui restera à jamais.
- Mais je vieillis…
- Oui, mais uniquement jusqu'à tes 18 ans. Après cela, le temps s'arrêtera ici et nous resterons comme nous serons alors.
- Et Aurore ?!, s'exclama Jour qui, jusque là, avait espéré la rejoindre afin d'avoir un héritier puis passer le reste de sa vie avec elle, une fois le flambeau remis à son fils ou sa fille.
- Elle a vieilli au même rythme que moi. Elle aura donc 17 ans quand tu en auras 18 et elle deviendra aussi immortelle.
- Ne pouvons-nous pas la ramener ici ?
- Non, c'est impossible. Et tu ne pourras plus la rejoindre non plus quand tu auras atteint tes 18 ans.
- Pourquoi cela !?
- Car tu seras alors le seul maître du ciel de la journée et de l'aube. Il sera impossible que tu prennes le risque de vagabonder sur la terre. Imagine ce qu'il se produirait s'il t'arrivait quelque chose. Ici tu es en sécurité.
Jour fondit en sanglots, formant une grosse pluie sur la terre et Aurore comprit qu'une mauvaise nouvelle allait arriver. Le lendemain matin, à l'aube, il la rejoignit et lui expliqua ce qu'il avait appris. Ils pleurèrent ensemble jusqu'à la séparation puis décidèrent de passer les heures qui leur restaient chaque jour le plus près du bonheur possible afin de ne jamais regretter. Les matins passèrent ainsi dans une forme de joie des derniers jours. A l'aube de ses 18 ans, il lui offrit un poème, ils s'embrassèrent et se sourirent en guise d'adieu et Jour retrouva le ciel sans sa bien aimée et Aurore resta coincée sur terre.
Parfois vous verrez une jeune fille qui regarde le ciel avec tout l'amour de son cœur. Elle lève les bras comme pour l'embrasser, elle ouvre les yeux comme pour voir au travers. De tout son être elle recherche quelque chose et si vous tendez l'oreille, vous l'entendrez peut-être, prononcer ces vers qui la gardent proche de celui qu'elle aime.
Jour et Nuit
Jeunesse et Noblesse
Jaune et Noir
Jour et Nuit toujours se croisent
Jamais ne se toisent
Dans une ronde éternelle qui manipule
L'aurore et le crépuscule
Mardi 10 août 2010 à 23:05
Sur la plage, je me baladais, observant les baigneurs et les gens qui bronzaient. Mon regard fut attiré par un point blanc, loin, là-bas vers le large et je ne sais pourquoi mais une vision me vint. Comme sur le dos d'une mouette je survolais les flots et le point grossissait pour devenir un bateau. Dans la coque, un jeune homme était étendu, le visage brûlé par le soleil, une de ses mains pendant dans l'océan, flétrie et bleutée. Il avait ce visage tranquille de ceux qui ont déjà tant souffert que quand arrive la fin, ils peuvent partir sans crainte. J'eus soudain l'impression qu'il était un vieillard, et que ses yeux fermés cachaient un grand mystère. Le bateau n'avait plus de rames, un petit trou laissait entrer l'eau par petits bouillons. Et il ouvrit les yeux.
J'étais de retour sur la plage, le point blanc était toujours à l'horizon. Je courrais alors vers l'homme qui gardait la plage, là-haut, sur son siège de métal blanc, froid même en plein soleil. Il tourna un regard vide vers moi alors que je lui criais que quelqu'un était en danger, que quelqu'un allait mourir. « Comment le savez-vous ? » me demanda-t-il et je compris qu'il ne bougerait pas sans preuve et que je n'en avais pas. Je tentais le coup de bluffe en disant qu'un passant m'avait prêté ses jumelles et que j'avais alors aperçu un bateau à la dérive au large avec un bras qui pendait en dehors. Ce n'était pas si loin de la vérité mais l'homme me jaugea en se penchant légèrement vers moi et dit « Vous pouvez toujours me tendre votre main, mais je ne peux rien faire de plus. ». Je ne comprenais pas, alors je la lui tendis et il sortit un gros tampon rouge et l'appliqua sur ma peau. Cela me fit l'effet d'un fer rouge, je sursautai mais restai coite. Il y avait écrit « en cours ». Je compris qu'il ne servait à rien de rester là, que je devais agir de moi-même. Je me mis à courir sur la plage, cherchant une embarcation quelconque. Un matelas gonflable aurait presque fait l'affaire si je pouvais apporter une paire de rames assez rapidement. Mais il n'y avait rien.
Je survolais à nouveau le bateau. Son regard était bleu et on voyait les nuages s'y refléter. J'essayais de lui crier de tenir bon, que les secours allaient arriver. Il sourit et souleva sa tête pour voir au-delà du mur de la coque l'entourant, la tourna à droite puis à gauche avec lenteur et son sourire se perdit dans l'océan. Alors il reposa sa tête sur le bois humide et je vis que l'eau avait agrandi le trou et que la frêle embarcation serait bientôt noyée.
De retour sur plage, je courrais toujours, vers le ponton proche, espérant y trouver un bateau que je n'aurais pas aperçu de loin. Mais toutes les amarres avaient déjà été lâchées. Je vis pourtant une petite barque en bois enfouie dans le sable, qui avait déjà coulé. Une larme s'ajouta à l'océan alors que je pensais à ce qui attendait le jeune homme. Je me laissais glisser dans l'eau. J'avais pied à cet endroit. Je tirai la barque vers moi, repoussant le sable qui s'était accumulé à l'intérieur. Après quelques efforts j'y parvins mais je ne pus qu'affronter la réalité, il y avait un énorme trou au fond. Je regardai alentours avec un désespoir grandissant. Une bâche ? Quelque chose pour réparer ? Non… toujours rien. J'attrapais les rames qui étaient enterrées à côté et j'entrepris de nager vers lui. C'était affreusement loin mais peut-être que le garde de la plage réagirait s'il me voyait ainsi me démener. Je me servais des rames comme de flotteurs et entrepris ce difficile voyage.
Je voyais ses lèvres remuer, il continuait de fixer le ciel.
- J'aurais tant aimé la sauver, dit-il faiblement et une larme coula le long de sa joue.
- Et tu crois qu'elle aurait aimé te voir ainsi ?, criai-je entre colère et désespoir.
- Est-ce vraiment important, maintenant qu'elle n'est plus ?
- La vie est importante. On en a une seule, elle est seule à nous animer. Il n'y a rien après, tu comprends ? Il n'y a plus de souffrances, mais il n'y a plus personne pour se souvenir.
Une larme s'écrasa de sa joue et je me dis qu'il fallait peut-être que j'évite de le faire pleurer sinon la barque se remplirait plus vite.
- J'arrive, dis-je.
Pendant un instant il ne réagit pas puis il hurla.
- Non ! Ne viens pas ! Je ne veux pas !
Je poussais un faible soupire et répondit « Je viens. ».
J'avais mal aux jambes, mal aux mains qui s'agrippaient aux rames mais je poursuivais, les larmes aux yeux, le sel me piquant les narines. J'avais l'impression que l'air se raréfiait, il devenait difficile de respirer. La plage était bien loin maintenant et cela m'importait peu, mon but était devant moi et je ne regarderai pas en arrière. L'homme sur son siège blanc agrippa ses jumelles et ajusta la vision. « C'est pas possible ! » grommela-t-il.
Je survolais la barque.
- Laisse-moi tranquille… Va-t-en, me dit une voix lasse.
- Tu n'arrives même pas à faire preuve d'assez de volonté pour me faire partir.
Il soupira et fit un faible sourire.
- Ce n'est pas comme si j'avais un moyen de t'en empêcher…
- Bien sûr que si, répliquai-je. Il te suffit de ramer vers le large…
Ses yeux s'écarquillèrent, il releva lentement son corps endolori et se tint la tête un moment. Il avait des vertiges et envie de vomir. Et il y avait cette douleur, lancinante et criante qui lui perçait le crâne. Ses muscles s'actionnèrent comme des bras de robot rouillés. Il cligna des yeux et me vit à deux cent mètres, peinant pour arriver à son niveau. Il plongea sa main dans l'eau, courbant ses doigts pour repousser l'eau. Je me débattais pour arriver. Il donna un coup en avant et sa barque se dirigea un peu plus vers le large. D'un mouvement violent il fit de même de l'autre côté.
- Pourquoi es-tu venue ?! hurla-t-il tout en continuant sa besogne.
- Je veux juste te sauver !
- Mais pourquoi ?
- Parce qu'il ne faudrait pas gâcher tous les bonheurs et les souffrances que l'on va ressentir en un instant.
- Pourquoi moi ?
- Parce que je savais que tu étais là et je veux essayer de t'aider !
- M'aider ? Tu peux ressusciter les morts ?
- Non mais je peux continuer de vivre avec leur souvenir en moi. Je peux les aimer même si ça fait mal. Je peux les étreindre dans mes rêves et penser à eux au petit matin et leur dédier toutes ses joies et ses peines que j'ai connues depuis leur départ. Je peux dire aux autres à quel point je les aimais, pour leur valeur, pour leur présence. Je peux puiser de la force dans mes pleurs et apprendre que le monde sans eux, renferme encore du bonheur. Je peux attendre avant de mourir parce qu'il y a encore tant de choses à voir.
Un lourd silence s'en suivit, interrompu seulement par le bruit d'éclaboussure de mes pieds frappant l'eau, de ses mains frappant la vie. C'est alors qu'il s'arrêta et qu'il se tourna vers moi.
- Tu m'y aideras ?
- Je suis là, non ?
Alors il repartit vers moi et je pus monter dans son bateau.
- Je suis désolé, dit-il. Je n'aurais jamais dû t'embarquer là-dedans.
- Ca ira, on va s'en sortir, il suffit de volonté ! répondis-je avec confiance.
Mais la plage était si loin et l'eau rentrait si vite, je vis bientôt que nos efforts seraient vain. Je continuais pourtant à ramer dans un rythme effréné avec pour fond sonore ses pleurs de culpabilité. La barque finit par couler après quelques minutes. Nous continuâmes à la nage, chacun tenant une rame pour s'aider. Peu à peu, je sentais mon esprit lâcher prise dans le froid de ce monde que je combattais. Je savais que ma dernière phrase était un mensonge, il ne suffit pas seulement d'avoir de la volonté… pas toujours. J'entendis un bruit de déglutition derrière moi et vis qu'il avait lâché prise et avait été englouti. Je plongeais, laissant ma rame, sans aucune hésitation et le ramenais avec moi à la surface.
- Laisse-moi, sauve-toi.
- Il est trop tard, répondis-je. J'ai choisi ma voie.
On se débattit encore contre les vagues qui nous refoulaient mais nos forces s'épuisaient. Je sentis l'eau nous engloutir, ce passage du bruit frappant des déferlantes à un univers de sons déformés en sourdine. Je tendis la main devant moi comme pour attraper la lumière, tenant toujours la sienne dans l'autre. « Classé » était écrit à la place du tampon. Un bras m'attrapa violemment et me sortit de l'eau. Je vis l'homme de la plage sur son grand siège blanc. Il souriait. « Mission accomplie » dit-il et le tampon s'effaça d'un coup de ma main. Je pris mon ami dans mes bras et il pleura tout son saoul et je pleurais et riais en concert.
Mardi 10 août 2010 à 23:03
Le ventriloque sourd sentait dans son ventre vibrer la saveur des mots. Dans les yeux des gens se trouvait le ton juste, dans son talon posé sur le sol remontaient les applaudissements. Entouré d'une brume d'émotions et de sensations, le battement de l'air, le souffle des sentiments. Il n'aimait pas le silence pour les autres, aussi le rire était son allié. Il appréciait par contre le fait qu'il en jouissait autant qu'il le voulait car le monde auquel il avait accédé était plus juste et coloré que celui d'avant.
Lentement s'insinuaient jusqu'à lui sourires et soupirs dans une turbulence éolienne, impatiences et crispations dans le tremblement du sol, en une vague de formes indistinctes et brèves, difficiles à traduire et pourtant… Les yeux de la réalité, le souffle de l'indistinct mêlés dans un fleuve mouvant qui apporte une vérité que seul celui qui écoute vraiment peut entendre. Cette atmosphère et ambiance ressentie sans pouvoir la définir et qui recèle beaucoup plus d'informations que ce qui est lu en elle. Il était curieux car il savait que jamais une réalité n'existerait pour elle et comme un homme devant les livres de toutes les connaissances il s'imprégnait de ce qu'il pouvait récolter.
Le ventriloque était sourd mais le pantin qui prolongeait son bras ne l'était pas. De bois creux étaient sa tête, son buste et ses membres, et en lui semblaient vibrer et résonner tant de sons qu'il était à la fois entendant et parlant. La douce symphonie du bois courant chaque nervure, chaque écharde, mêlant en lui les paroles des hommes, malaxant et puisant en elles pour les transformer en un chant de forêt. Il était le pantin dans la vie d'un sourd emplie de mélodies.