terre-vue-d-anouck

Des mots couchés sur pixel

Mardi 10 août 2010 à 23:05

Sur la plage, je me baladais, observant les baigneurs et les gens qui bronzaient. Mon regard fut attiré par un point blanc, loin, là-bas vers le large et je ne sais pourquoi mais une vision me vint. Comme sur le dos d'une mouette je survolais les flots et le point grossissait pour devenir un bateau. Dans la coque, un jeune homme était étendu, le visage brûlé par le soleil, une de ses mains pendant dans l'océan, flétrie et bleutée. Il avait ce visage tranquille de ceux qui ont déjà tant souffert que quand arrive la fin, ils peuvent partir sans crainte. J'eus soudain l'impression qu'il était un vieillard, et que ses yeux fermés cachaient un grand mystère. Le bateau n'avait plus de rames, un petit trou laissait entrer l'eau par petits bouillons. Et il ouvrit les yeux.

J'étais de retour sur la plage, le point blanc était toujours à l'horizon. Je courrais alors vers l'homme qui gardait la plage, là-haut, sur son siège de métal blanc, froid même en plein soleil. Il tourna un regard vide vers moi alors que je lui criais que quelqu'un était en danger, que quelqu'un allait mourir. « Comment le savez-vous ? » me demanda-t-il et je compris qu'il ne bougerait pas sans preuve et que je n'en avais pas. Je tentais le coup de bluffe en disant qu'un passant m'avait prêté ses jumelles et que j'avais alors aperçu un bateau à la dérive au large avec un bras qui pendait en dehors. Ce n'était pas si loin de la vérité mais l'homme me jaugea en se penchant légèrement vers moi et dit « Vous pouvez toujours me tendre votre main, mais je ne peux rien faire de plus. ». Je ne comprenais pas, alors je la lui tendis et il sortit un gros tampon rouge et l'appliqua sur ma peau. Cela me fit l'effet d'un fer rouge, je sursautai mais restai coite. Il y avait écrit « en cours ». Je compris qu'il ne servait à rien de rester là, que je devais agir de moi-même. Je me mis à courir sur la plage, cherchant une embarcation quelconque. Un matelas gonflable aurait presque fait l'affaire si je pouvais apporter une paire de rames assez rapidement. Mais il n'y avait rien.

Je survolais à nouveau le bateau. Son regard était bleu et on voyait les nuages s'y refléter. J'essayais de lui crier de tenir bon, que les secours allaient arriver. Il sourit et souleva sa tête pour voir au-delà du mur de la coque l'entourant, la tourna à droite puis à gauche avec lenteur et son sourire se perdit dans l'océan. Alors il reposa sa tête sur le bois humide et je vis que l'eau avait agrandi le trou et que la frêle embarcation serait bientôt noyée.

De retour sur plage, je courrais toujours, vers le ponton proche, espérant y trouver un bateau que je n'aurais pas aperçu de loin. Mais toutes les amarres avaient déjà été lâchées. Je vis pourtant une petite barque en bois enfouie dans le sable, qui avait déjà coulé. Une larme s'ajouta à l'océan alors que je pensais à ce qui attendait le jeune homme. Je me laissais glisser dans l'eau. J'avais pied à cet endroit. Je tirai la barque vers moi, repoussant le sable qui s'était accumulé à l'intérieur. Après quelques efforts j'y parvins mais je ne pus qu'affronter la réalité, il y avait un énorme trou au fond. Je regardai alentours avec un désespoir grandissant. Une bâche ? Quelque chose pour réparer ? Non… toujours rien. J'attrapais les rames qui étaient enterrées à côté et j'entrepris de nager vers lui. C'était affreusement loin mais peut-être que le garde de la plage réagirait s'il me voyait ainsi me démener. Je me servais des rames comme de flotteurs et entrepris ce difficile voyage.

Je voyais ses lèvres remuer, il continuait de fixer le ciel.
- J'aurais tant aimé la sauver, dit-il faiblement et une larme coula le long de sa joue.
- Et tu crois qu'elle aurait aimé te voir ainsi ?, criai-je entre colère et désespoir.
- Est-ce vraiment important, maintenant qu'elle n'est plus ?
- La vie est importante. On en a une seule, elle est seule à nous animer. Il n'y a rien après, tu comprends ? Il n'y a plus de souffrances, mais il n'y a plus personne pour se souvenir.
Une larme s'écrasa de sa joue et je me dis qu'il fallait peut-être que j'évite de le faire pleurer sinon la barque se remplirait plus vite.
- J'arrive, dis-je.
Pendant un instant il ne réagit pas puis il hurla.
- Non ! Ne viens pas ! Je ne veux pas !
Je poussais un faible soupire et répondit « Je viens. ».

J'avais mal aux jambes, mal aux mains qui s'agrippaient aux rames mais je poursuivais, les larmes aux yeux, le sel me piquant les narines. J'avais l'impression que l'air se raréfiait, il devenait difficile de respirer. La plage était bien loin maintenant et cela m'importait peu, mon but était devant moi et je ne regarderai pas en arrière. L'homme sur son siège blanc agrippa ses jumelles et ajusta la vision. « C'est pas possible ! » grommela-t-il.
Je survolais la barque.
- Laisse-moi tranquille… Va-t-en, me dit une voix lasse.
- Tu n'arrives même pas à faire preuve d'assez de volonté pour me faire partir.
Il soupira et fit un faible sourire.
- Ce n'est pas comme si j'avais un moyen de t'en empêcher…
- Bien sûr que si, répliquai-je. Il te suffit de ramer vers le large…
Ses yeux s'écarquillèrent, il releva lentement son corps endolori et se tint la tête un moment. Il avait des vertiges et envie de vomir. Et il y avait cette douleur, lancinante et criante qui lui perçait le crâne. Ses muscles s'actionnèrent comme des bras de robot rouillés. Il cligna des yeux et me vit à deux cent mètres, peinant pour arriver à son niveau. Il plongea sa main dans l'eau, courbant ses doigts pour repousser l'eau. Je me débattais pour arriver. Il donna un coup en avant et sa barque se dirigea un peu plus vers le large. D'un mouvement violent il fit de même de l'autre côté.
- Pourquoi es-tu venue ?! hurla-t-il tout en continuant sa besogne.
- Je veux juste te sauver !
- Mais pourquoi ?
- Parce qu'il ne faudrait pas gâcher tous les bonheurs et les souffrances que l'on va ressentir en un instant.
- Pourquoi moi ?
- Parce que je savais que tu étais là et je veux essayer de t'aider !
- M'aider ? Tu peux ressusciter les morts ?
- Non mais je peux continuer de vivre avec leur souvenir en moi. Je peux les aimer même si ça fait mal. Je peux les étreindre dans mes rêves et penser à eux au petit matin et leur dédier toutes ses joies et ses peines que j'ai connues depuis leur départ. Je peux dire aux autres à quel point je les aimais, pour leur valeur, pour leur présence. Je peux puiser de la force dans mes pleurs et apprendre que le monde sans eux, renferme encore du bonheur. Je peux attendre avant de mourir parce qu'il y a encore tant de choses à voir.
Un lourd silence s'en suivit, interrompu seulement par le bruit d'éclaboussure de mes pieds frappant l'eau, de ses mains frappant la vie. C'est alors qu'il s'arrêta et qu'il se tourna vers moi.
- Tu m'y aideras ?
- Je suis là, non ?
Alors il repartit vers moi et je pus monter dans son bateau.
- Je suis désolé, dit-il. Je n'aurais jamais dû t'embarquer là-dedans.
- Ca ira, on va s'en sortir, il suffit de volonté ! répondis-je avec confiance.

Mais la plage était si loin et l'eau rentrait si vite, je vis bientôt que nos efforts seraient vain. Je continuais pourtant à ramer dans un rythme effréné avec pour fond sonore ses pleurs de culpabilité. La barque finit par couler après quelques minutes. Nous continuâmes à la nage, chacun tenant une rame pour s'aider. Peu à peu, je sentais mon esprit lâcher prise dans le froid de ce monde que je combattais. Je savais que ma dernière phrase était un mensonge, il ne suffit pas seulement d'avoir de la volonté… pas toujours. J'entendis un bruit de déglutition derrière moi et vis qu'il avait lâché prise et avait été englouti. Je plongeais, laissant ma rame, sans aucune hésitation et le ramenais avec moi à la surface.
- Laisse-moi, sauve-toi.
- Il est trop tard, répondis-je. J'ai choisi ma voie.
On se débattit encore contre les vagues qui nous refoulaient mais nos forces s'épuisaient. Je sentis l'eau nous engloutir, ce passage du bruit frappant des déferlantes à un univers de sons déformés en sourdine. Je tendis la main devant moi comme pour attraper la lumière, tenant toujours la sienne dans l'autre. « Classé » était écrit à la place du tampon. Un bras m'attrapa violemment et me sortit de l'eau. Je vis l'homme de la plage sur son grand siège blanc. Il souriait. « Mission accomplie » dit-il et le tampon s'effaça d'un coup de ma main. Je pris mon ami dans mes bras et il pleura tout son saoul et je pleurais et riais en concert.

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